Les vocaux de … [Ep.31] Clémence Perrussel (Privateaser & Joy) : revoir son recrutement pour plus de diversité et d’inclusion
Les vocaux, ce sont de courtes interviews de personnalités qui font bouger le monde des ressources humaines.
Aujourd’hui, on parle de diversité et d’inclusion, mais pas avec n’importe qui : Clémence Perrussel, Head of HR development chez Privateaser : un service de réservation d’espaces, et Joy, solution pour gérer les réservations de groupes.
Comment intégrer diversité et inclusion dans la politique RH et le recrutement ?
Clémence Perrussel nous raconte aujourd’hui comment elle a construit la marque employeur de Joy, dans l’ère post-Covid, avec la mise en place une politique de diversité et inclusion, devenue nécessaire à l’équipe et au bon fonctionnement de l’entreprise.
En toute transparence, Clémence partage les différentes étapes pour arriver à une note de fierté d’appartenance de l’équipe de 9/10, seulement 1,5 ans après son passage à l’action.
De la prise de conscience à la mise en place de formations et d’actions concrètes pour un recrutement plus ouvert, Clémence nous dit tout pour atteindre l’objectif ultime : une équipe heureuse et efficace.
INÈS
Hello Clémence, j’espère que tu vas bien ?
Je voulais aborder avec toi aujourd’hui le sujet de la diversité et de l’inclusion,et comment tu as réussi à mettre en place ces sujets-là
dans les processus de recrutement chez Joy et Privateaser.
CLÉMENCE
Hello à tous, déjà merci à YAGGO de m’avoir invitée.
Aujourd’hui, on est là pour parler de la diversité et de l’inclusion chez Joy. J’aimerais expliquer comment on a réussi à la mettre en place chez nous alors que ce n’était pas gagné d’avance parce que ce n’était pas tout à fait dans notre culture d’entreprise initiale.
INÈS
Intéressant et inattendu !
Est-ce qu’il y a un moment précis qui a déclenché
cette prise de conscience et l’envie de faire mieux ?
CLÉMENCE
Privateaser en 2020, nous étions 120 personnes, tout allait bien, on venait de racheter deux entreprises. Puis, il y a le COVID, on est en activité partielle pendant un an et demi.
En mai 2021, on revient et on crée une nouvelle marque en plus de Privatiser. Une marque qui s’appelle Joy donc là, tout est à créer. Une nouvelle marque employeur, de nouvelles valeurs, un nouveau vocabulaire et une nouvelle politique RH.
Donc il faut recruter, alors je reprends nos vieux templates de fiches de postes de recrutement et je vois dessus : bac+5, recherche candidat de grande école… Je ne comprends pas bien pourquoi on en a besoin pour les postes qu’on me demande de recruter.
On avait aussi des personnes un peu différentes de celles d’il y a deux ans dans l’entreprise. On avait des personnes qui étaient devenues parents ! Avant, on avait une culture très festive, une très bonne ambiance, il y avait pleins de questions qu’on ne se posait pas sur la diversité et l’inclusion, parce que globalement, on était tous à peu près pareil au même moment de notre vie.
Là, c’était plus exactement le cas : on avait des gens qui ne voulaient plus être en présentiel tout le temps, à qui le COVID avait donné envie d’être un peu en télétravail, ou alors carrément 100 % en remote.
Et le dernier élément qui m’a fait prendre conscience de l’enjeu lié aux questions de diversité et d’inclusion, c’est qu’une de nos nouvelles recrues en 2021 m’a demandé si on l’avait choisie, elle, parce que c’était quelqu’un de couleur et qu’il en fallait bien un dans l’entreprise.
Donc c’était vraiment le moment de mettre ces sujets sur la table, de réfléchir à ce qu’on était et à ce qu’on souhaitait être. Donc pleins de petits éléments qui ont fait que ça a été le bon moment de mettre ce sujet sur la table.
INÈS
Et du coup, il y avait qui autour de cette table ?
CLÉMENCE
Il faut savoir que Privateaser a été créé par trois centraliens et leur réseau, notamment de centraliens nous a beaucoup aidé au début de l’entreprise. La diversité, c’était pas vraiment un sujet et à ce moment là, j’ai eu la confiance des fondateurs mais aussi des nouveaux managers qu’on recrutait pour faire une nouvelle marque employeur et une nouvelle politique RH qui correspondait à la fois aux salariés de l’entreprise et aux personnes qu’on souhaitait recruter.
INÈS
Et donc, concrètement, qu’est-ce que tu as mis en place dans tes process de recrutement ?
CLÉMENCE
Avant de mettre les choses en place, je me suis formée au recrutement avec Élinoï parce que je découvrais également ce métier là. Même si j’en avais fait un peu par le passé. Je me suis aussi formée grâce au CNAM, à la gestion de la diversité en RH. C’était passionnant et j’avais notamment plusieurs cas pratiques à faire : Que peut faire une DRH pour plus d’inclusion, par exemple ?
Et je me suis également beaucoup formée aux critères de discrimination et aux biais de conformité et de complaisance, je me faisais plein de cas pratiques. Il y a des bouquins assez marrants qui existent aujourd’hui pour entraîner notre cerveau à déjouer nos erreurs lors des entretiens.
Et j’ai fait une grosse veille LinkedIn, donc là, merci à tous les influenceurs recruteurs qui m’ont beaucoup aidé à une période où j’avais tout simplement besoin d’exemples et de bien comprendre comment ne pas tomber dans des difficultés lors des processus de recrutement.
Ensuite, j’ai mis en place quatre choses pour que cette diversité soit réelle. La première, c’est sur tout le process de recrutement :
J’ai structuré un nouveau processus de prise de besoins auprès du recruteur. Pourquoi tu vas recruter ? Quels sont les résultats que tu attends de la personne ? Qu’est-ce qu’on va lui apprendre ? Quel niveau de maitrise tu attends au début lorsque ces personnes arrivent ? Quelles compétences hard et soft skills tu as envie qu’elles aient initialement ? Dans quel état d’esprit tu veux ?,… etc.
Pour détricôter le personnae idéal. Voilà, je veux quelqu’un tout de suite qui sache faire ça et ça mais en fait, peut-être que tu as envie de ça dans deux mois après l’onboarding mais que tu seras très content que la personne qui arrive, elle n’ait pas forcément ces compétences métier là. Mais par contre qu’elle ait envie d’apprendre par exemple.
Évidemment, ça dépend des métiers mais le fait de poser les bonnes questions, de passer du temps là-dessus, ça aide vraiment à faire des scorecards basées sur les compétences et d’essayer d’objectiver le plus possible les compétences recherchées.
Ensuite ces scorecards, je les mets à la fois dans les fiches de postes et aussi dans toutes les cartes d’entretiens. Parce qu’évidemment, il faut que ce soit des critères de prise de décision sur les candidats. J’ai beaucoup formé les hiring managers. Personne ne recrute chez nous sans être passé à la moulinette de ma formation interne et j’ai fait des présentations qu’on appelle les Joy News a tout le staff pour expliquer les enjeux de nos recrutements.
Donc là c’était vraiment sur toute la partie processus de recrutement.
Le recrutement pour moi c’est un peu le côté sales mais ensuite il faut faire ce que j’appelle le développement RH ou le CSM, c’est-à-dire la politique RH interne parce que si on arrive à recruter des gens extérieurs très différents qui ont des critères de diversité visibles ou invisibles, mais que derrière on n’arrive pas à bien les intégrer à l’équipe, ça ne sert à rien. Donc là, on a mis en place pas mal de choses pour réussir à les intégrer dans l’entreprise.
On a mis en place aussi une politique RH interne parce que vouloir plus de diversité dans le recrutement, c’est bien. Mais il faut savoir ensuite intégrer les personnes et vraiment mettre en place de l’inclusion.
On a adapté, l’onboarding pour qu’il puisse être utile à des outsiders. C’est-à-dire à des personnes qui ne connaissent pas le milieu de la start-up, qui découvrent vraiment cet univers grâce à nous. Pour y arriver, on a notamment confié tout l’onboarding à une outsider. On s’est dit que c’était la meilleure façon de le rendre le plus pédagogue possible.
On a également fait des grilles d’évaluation des validations des périodes d’essai pour que les personnes sachent précisément ce qu’on attend d’elles. C’est quoi les critères de réussite de la période d’essai ? Et dans quel chemin on a envie de se former en interne ?
On a construit des parcours d’évolution possibles différents entre des personnes qui sont plus à l’aise pour manager par exemple, et des personnes qui, au contraire ont des cerveaux peut-être un peu différents, qui veulent par exemple faire du knowledge management,… etc.
Donc on a vraiment construit des process pour donner envie à des profils différents. Et puis on a mis en place un coaching pour les parents de jeunes enfants.
On a ouvert plus de télétravail et on a ouvert des bureaux à Barcelone pour ceux qui voulaient continuer à vivre au soleil après l’expérience du COVID.
Et puis j’ai également pris du temps pour répondre aux mails des candidats, même aux candidatures spontanées ou aux candidats qu’on refusait. Donc aujourd’hui, je fais tout à la main mais peut-être qu’un jour on aura YAGGO, qui sait ? Pour bien expliquer aux candidats pourquoi on les refusait, réponse objective obligatoire.
Et pareil, je contacte notre vivier assez souvent, tout simplement pour leur donner des conseils, pour bien leur expliquer pourquoi est-ce qu’on ne peut pas les prendre aujourd’hui dans notre organisation.
La troisième chose que j’ai mise en place, après le processus de recrutement et la politique RH, c’est le sourcing. C’est à dire que je sourçais les candidats sur les plateformes, les plus diverses possibles. Indeed marche très bien et ça donne accès à nos offres à des profils un peu différents et j’ai toujours essayé aussi l’Apec, Diversifiez vos talents, Mozaïk RH, l’Agefiph pour les personnes en situation de handicap. Alors ça ne marche pas toujours, mais j’essaye toujours. Dès que j’ouvre un poste, je vais d’abord sur ces canaux.
Quand la personne postule, je ne regarde pas son CV ou son profil LinkedIn. D’abord, je lui envoie un mail que j’appelle mail de qualification et qui pourrait être un mail de motivation qui demande tout simplement pourquoi elle postule et qu’est-ce qui lui plaît dans l’offre. C’est en fonction de cette réponse qu’après, je vais voir le profil.
Ça permet de faire ressortir des candidats dont, si j’avais juste regardé le profil, je pourrais m’être dit oui, non, pourquoi pas ? Non, l’expérience n’est pas incroyable, je ne regarde pas. Mais c’est vraiment des biais qu’on a.
Une dernière chose dans le sourcing, c’est que je fais peu de chasse de candidats déjà en poste. Je leur demande des copains à eux qui pourraient être intéressés. Si on va toujours chercher des candidats en poste, pour les laisser dans le système, ça fait que le système ne s’ouvre pas à des nouveaux profils, à des nouveaux candidats. Donc ça, c’est vraiment un interdit que je me mets.
Et la dernière chose, c’est tout simplement la preuve par l’exemple. Je trouve ça bien de dire qu’on essaye avec tel candidat et puis on verra ce que ça donne. On accueille aussi, assez souvent et c’est vraiment important pour moi, des personnes par exemple une personne en stage via Pôle emploi, donc c’est un stage d’immersion d’un mois, une personne qui est en reconversion professionnelle. On a aussi une personne qui est en stage deux mois dans le cadre de ses études. On a accueilli des gens via Immersive Experience : quelqu’un qui travaille dans un grand groupe public et qui est venu chez nous pour comprendre l’univers start-up et qui finalement nous a beaucoup aidé par son regard et sa façon de penser, très structuré et très cadré.
Mon troisième conseil, ce serait la preuve par l’exemple et essayer de faire venir des gens différents pour que chacun puisse voir comment ça aide toute la structure à s’améliorer.
INÈS
Est-ce que depuis que tu as mis en place toutes ces actions, tu as observé des résultats à la fois qualitatifs et quantitatifs ?
CLÉMENCE
Déjà, le premier résultat, c’est qu’on a des bonnes recrues qui travaillent bien et qui ont globalement l’air épanouies. Donc ne serait-ce que ça, c’est un succès.
On a une très bonne ambiance d’entreprise avec malgré tout des profils et des cerveaux très différents. On a une note de fierté d’appartenance à 9/10. Ce n’est pas parfait. Ça prouve qu’il y a encore beaucoup de choses à améliorer. Mais c’est quand même pas mal pour une entreprise qui était en crise il y a un an et demi.
INÈS
OK, trop bien.
Donc maintenant que ça fait quelques mois que tu as mis ça en place, ce serait quoi la plus grande difficulté à laquelle tu as fait face ?
CLÉMENCE
Et bien elle est double.
La première, c’est qu’il faut bien réfléchir à pourquoi on le fait, pourquoi on veut plus de diversité et d’inclusion ? Est-ce que c’est que pour notre notoriété ? Pour nous aider à recruter ? Pour nous éviter un bad buzz ? Ou est-ce que c’est pour des vrais choix éthiques et sociétaux en cohérence avec nos missions et l’entreprise qu’on a envie de construire. C’est la première difficulté.
La deuxième, c’est qu’il y a toujours une tension entre des profils différents et la cohésion de l’équipe. Entre la gestion de la diversité et la lutte contre les discriminations, l’équilibre est toujours instable et il faut vraiment faire attention et construire des choses pas à pas.
INÈS
Merci Clémence pour ton temps. Merci pour ta transparence et pour tous les enseignements que tu viens de nous donner.
À propos de Joy
Joy est un outil créé pour permettre aux bars et restaurants de booster leurs réservations de groupes.
Les vocaux, ce sont de courtes interviews de personnalités qui font bouger le monde des ressources humaines.
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